Reverose

Des chérubins
il y en a trois peut-être
ils se balladent sur les rives du Gange

L'un deux harponne sa crampe vermeille au faîte de la plus haute vague
et le fleuve hennit comme un marin désemparé

comme une baleine suspicieuse qui sent venir le drame

et la harpe de l'ange résonne
à mes oreilles
enfin
je connais bien ce bruit,

c'est le crissement des dents de Dieu
quand il dort
et Dieu, la nuit
il rêve il rêve il rêve
onirisme halluciné camaïeu de formes hilarantes
des créatures fantasmées s'évadent en kaléïdoscopes de plumes d'ailes de becs de fourrures
des univers naissent et meurent entre deux halètements
Dieu se retourne
une étoile lointaine se désagrège en géante gazeuse
cette nuit là
le Père des hommes a des rêves extatiques
il tourne et se retourne s'emmèle dans ses draps trempés d'une sueur céleste

Mais ce n'est pas si mal
à qui profite le crime demandez-vous
tout à son rôle dans la machinerie divine
rien n'est laissé au hasard
comme vous allez vous en apercevoir

car au réveil une cohorte de bigottes, tout juste décédées
fraîchement mortes dit-on
et passées avec succès à travers les mailles du purgatoire
une chenille processionnaire de vieilles dames tirées à quatre épingles arrimera le lit du Roi des Rois
afin de débarasser le vieux Monarque de ses draps humides
soigneusement
lentement
précieusement et précisément
délicates mains des bigottes habituées au travail du crochet
car ce sont des draps comme nul n'en a jamais vu ici-bas
des draps faits en pétales du roses d'Eden
cousus ensembles, un par un, depuis des millénaires
depuis la Création
cousus par les mandibules de la reine fourmi du Paradis
dont la fourmillière haute comme la pyramide de Khéops
se dresse sur le Soleil

et
cahin cahan
cabottant sur leurs gambettes frêles
emmenant l'immense drap de pétales sur leur épaules
elles iront
touours processionnantes
les bigottes
entonnant de pieuses litanies
elles iront presser
délicates
soigneuses
presser les draps trempés du songe magnifique au-dessus d'un vieux puits de granit qui mène droit au Monde
et
pétale par pétale
goutte après goutte
l'eau de tes rêves oh Jah
l'eau de tes rêves tombera sur la Terre

Alors

les chants confondus des oisillons se suspendront au bruissement des branches
les passants revenant de leur Nuit s'arrêteront, ôteront leurs chapeaux lèveront la tête fermeront les yeux
en souriant

toute la nature retiendra son respir
frémissante
et les arbres endormis frissonneront du bout de leurs racines à leurs plus hautes brindilles

Et sans que souffle le Vent
sans qu'accourent soudains les Nuages gris lourds bourgeonnants
ni que les rivières grossissent accouchant de torrents furibonds


Peu à peu, elle sera là, la grand-mère des Pluies,
présente
emplissant tout de son aura naissante
gouttelettes invisibles

poussières bleues, murmure d'air sur les herbes

Et comme chaque matin
depuis l'aube du Monde

il y aura là, dans l'air humide de l'Aube, quelque chose
de délicat
de précieux
comme
un brouillard de roses