P   I   R   A   T   E   S

Futaies indiennes
mûres, thyms, et baies
Tiges soponifuges
framboises,
refuges fragiles.

Etait-ce un songe ?

un baiser fuse,
et je fuis l'île
aux iroquoises.

J'enfile un sirocco,
un finger de brandy,
un swing, et je bondis.
des mocassins croco,
un surin d'assassin
un calicot fendu.

Je m'engage, candide
au côté des bandits,
couper les rouges gorges
sur la mer aux pendus.

Ma galiote intrépide
croise au large des terres,
et boute l'incendie
aux frégates corsaires
Tout est butins, pègres, mutins,
ilôts, ports, et fortins,
bicornes et lunettes,
vigies, burettes et pipes d'écume en corce de licorne,
bancs de brumes, tricornes,
fumées des criques secrètes au large du cap horn,
enclumes et sabres,sabordage,
abordages aux crètes d'embrumes
et veillées capitaines, et feux, filles, rhums,
filles et pages, et tortues vertes, rouges et jaunes,
coffres enfouis, que l'on exhume, remplis
de rubis, emeraudes, perles sans prix,
fortunes faites, puis ruines,
destinées de pirates, scellées de meurtres,
meutes vivante,
et fêtes libertines, scélérates,
codes d'honneur et fierté des rodeurs
mèlée de luttes intestines, de traitres,
amis de hune, de soute,
de haine, duels au clair de lune,
dans l'étoupe marine,
et les aromes rares de fleurs de tamarine.

j'ai connu ces hommes de la flibuste
torses barrés,
de pointes,
de fers,
de crêtes,
et barbelés de kystes
restes de fleches ou de boulets,
bustes coulés, bruts,
mat, rustres, sculptés
dans le sexe bandé de neptunes en rut,
criblés de banderilles,
vrillés des baisers de corail,
muscles déliés,
j'ai connu ces béliers de la houle,
et les ai vu piller,
brûler,
tuer, massacrer par milliers
leurs semblables et frêres,
pour l'or et pour l'ivoire,
et la gloire
d'enlever dans leurs îles
les poitrines nacrées,
des princesses sacrées
d'Espagne et de Navarre.

Et j'ai foulé leurs îles
plages, atolls inconnus,
archipels nomades,
golfes de palmes et grenades
capitales invisibles,
sarcophages inviolés
ou se cachent, immortels,
ces pharaons pirates,
embaumés de girofles,
muscades, et gifres,
enrobés dans l'étoffe écarlate
de leurs capes,
ou perdus dans les gouffres
de leurs hamacs...

j'ai posé mes pénates
mes bagages
et mes orteils
en éventail
à leurs côtés
siroté leurs cocktails
abricotés,
parlé à leurs ménates,
fumé leurs calumettes,
et vu leurs regards borgnes
prédire les pillages
dans le sillage
de leurs comètes !

Les nuits d'amour,
quand ils erraient,
par couples égarés,
allongés dans les fleurs de tiaré
des nattes tahitiennes...
je m'enivraî comme eux
des corps dorés, souples,
fermes, moelleux,
de leurs femmes-sirènes,
parées de diamants bleus  !

Leur vie, dure,
libre,
ce fut la mienne,
et leurs larmes,
aux soirs sordides
dans le vide lourd,
noir et terrible,
des murs froids de Cayenne.
Leurs larmes furent les miennes.

Notre vie était course charnelle,
cruelle, amère,
faite de rapts et de crânes scalpés,
conquis aux ducs et aux marquises,
des tropiques jusqu'aux banquises
et planqués dans les coffres banqués
dans nos criques outre-mers,

Notre mort sera chasse éternelle,
battue, curées,
truffée de trésors, de trophées
pris aux esprits battus, bluffés,
de l'Eden jusqu'aux plaines souffrées
et plantés dans les touffes pirates,
défaites, de nos têtes ébouriffées.