Matines

Lagune: fumées
de rosées gris-marine
Volumes : pépines
d'agrumes tamarines.

Réveillé à Mâtines,
J'arrime à l'oreiller
Les milles et unes
Traces malines
De
Ce que nous fumes
Ce que nous fimes...
Toute rancune est oubliée.

Je sors,
Voir le Taurore
Bailler,
Et ses larmes mouiller
de feuillets d'or
l'aube d'ébène
Et ses cornes d'ivoire
Vriller les robes
Brunes et noires
Des nuits rouillées

Et là, sur les herbes foulées
par la veillée
de deuil,
là, encore,
les vieilles femmes
se recueillent
et les corps linceulés
se cercueillent;
les âmes et mânes
des morts
traînent
esseulées
dans les derniers
coups de doums
posthumes,
puis s'éloignent,
sereines
vers les plaines
et collines éternelles,
les Vallées de Lumiel...

Je passe ma chemine.
Une brume opaline
S'effile au delà des foyers.
Ignames et légumes grillés
Parfument ma sentine.

La savane s'est rayée
de sillons et jardines
émaillée d'ânes, de jougs
et de guiges bovines
C'est la Vie qui témoigne
De l'humanité, dans les signes
Et traces serpentines
De la charrue menée
par la main enfantine
dans les rires carillones
grelots trombones
clownes sopranes
langue divine des petits d'hommes !

Il y a les fleurs de neems,
Ou l'abeille distille
Dans l'âme des pistils
Des arômes subtiles
De miel-miescaline....
Et la reine chamane,
Tapie sous les corolles
des teepees apicoles
fume le calumel.
Et tout cela rayonne
melline, bourdonne !

Il y a la haute brousse
où Diane danse
une transe assassine;
hymne
pour buffles, lionnes
hyènes, potames,
crocodines
et reptines
requiem
pour les victimes :
La déesse grimace
et mime
le vol spiraline
De l'épervier,
Et l'alarme au terrier
la course trampoline
et les larmes lapines...

Je passe ma chemine.
Une rune dessine
les nuages éparpillés
et m'assigne
à rester jardinier
des Savanes,
prisonnier de l'Eden !

Jamais !
Je dévoile aux nuées
mon épée d'opaline
ma bague aventurine
mes souliers dénoués !

Blâmé
par les dieux égoïnes,
Brimé
par les voix chérubines
Damné
par les diables angelines

Coupable
de libertinade
On me condamne
A l'ennui de Saturne
On m'emprisonne
Dans une nuit sans Lune
On me consigne
Aux vignes vénusiennes
On veut me résigner
Jamais !

Et, qu'à cela ne tienne,
Dans la brume opaline
Je poursuit ma chemine...
Les dieux font noire mine,
Et je leur chie au nez.

Je me bourre
de baba à priser
une blague hawaïenne

Je forme
la daba aiguisée
dans ma forge païenne

et me taille une rame
En résine de palme,

En régime banane,
Je taille un canoé.

Mutin des matinées,
Sur les plaines océanes,

Loin des dieux abusés
Je passe ma chemine...

Les vagues alizées,
païennes et dociles

m'emmenent
m'amuser
Loin des savanes usées
Dans les cabanes indiennes
des îles Crusoé.