Escale mouvementée à la gare de l'Est

En tête du convoi
dans un bruit de tonnerre
la locomotive
recrée l'enfer
et la colonisation
les nuages noirs et bleus s'échappent de leur prison
dans un froissement de fer
et de sueur d'esclave
les moteurs engagent
leurs engrenages
qui s'enclavent
dans un manège de roues, de pistons
de bielles, de manivelles
des mécanos s'éreintent avec leurs tire-boulons
leurs cliquets, pinces et truelles
planqués entre les pans efflanqués des machines en fusion
puis soudain c'est la gare
des petites flamèches se lèvent au son d'un sifflet ravageur
à l'intérieur
des wagons
on s'affaire
se précipite
la bagagite
saisit les estivants
les mères encapuchonnent leurs enfants
la bousculade
nait en braillant
dans le couloir et sème la pagaille dans les enfilades
des passagers moqueurs
dont l'heure
de décharger
est par chance lointaine
assis, stoiques et nonchalants
regardent le chahut d'un oeil condescendant
font mine de bailler
et sous cape ricanent du vacarme ambiant.

Et soudain, c'est le drame
une vielle dame
a glissé
dans l'espace sournois
séparant l'escalier
de la chaussée
et a chu sur la voie.

des contrôleurs accourent
ainsi que des passants
et les cris apeurés des idiots bien-pensants
résonnent sur le quai comme les hurlements
des chiens de chasse à cour.

quelques instants se figent dans l'angoisse
que la vieille fragile, bloqué entre les rails
ne défaille
et trépasse
mais voici les secours !

place, place !
en blouse de dentistes
un carré de spécialistes
s'amène en formation
serrée
portant une échelle à à coulisse
semblables aux couperets
de la révolution
tout cela fait frémir la digne population
qui croit voir le retour des grandes éxécutions

place, place !
la foule des badauds
et des cuistres
semblable à la limace
ne glisse jamais vite
loin des lieux du sinistres
il faut la menacer !
et la vieille coincée commence à suffoquer !

peu à peu une zone sécurité
s'instaure
repoussant les commères dépitées
qui savouraient déjà une mort
à raconter !

puis
dans la maîtrise totale, dont ils sont réputés
les techniciens de la compagnie
mobile
en habiles
tacticiens
extraient sans surprises
la pauvre mamie
du piège de métal
dans lequel, naïve, elle s'était mise
et qui eut pu, sans doute, lui être fort fatal.

aaah, grand soulagement
de toutes les grand-mamans
et de tous les grand-pères
qui contemplaient, les deux yeux grand ouverts
l'agonie de leur vieille confrère

aaah, le grand moment
dans un concert
d' applaudissements
la foule en liesse
celèbre quasiment
la messe
en plein air
pour la vieille rescapée
semblable à un équilibriste qui, cela arrive,
par malchance de son fil eut chuté !

tandis que lentement ses esprits lui reviennent
dans les bras d'un papi
et que, dans ses veines
son fluide s'avive

les sauveurs se promènent
bombant le torse, et haussant le képi
parmi les filles admiratives
qui chacune eut voulu
tomber de la sorte et au lieu de la vieille devenir l'élue

les speakers
de la station,
soulagés
reprennent leurs annonces
comme autant de sermons
ne pas s'approcher de la voie
ne pas fumer
ne pas courir
ne pas oublier
de se faire composter
bref, ambiance de mine ou bien de garnison...

le dos vouté
sous toutes ces oraisons
les nouveaux passagers
présentent leurs tickets
pour oblitération
et vite
se carapatent
dans le noir des wagons

Et au bout de la voie,
le chef de gare
jaloux
du manque d'attention
mais maître de l'horaire
gonfle ses joues
de colère, et siffle le départ

Vers la prochaine gare, lointaine,
à l'horizon
les deux lignes du rail s'envolent
à ras de terre
raides
comme deux horizons
supplémentaires...